François-Xavier Petit : « Comment la donnée change l’économie et ce qu’elle dit de nous ! »

A l’heure de la digitalisation, POLEPHARMA a choisi d’ouvrir son prochain Colloque Industrie du Futur par un regard différent, basé sur les sciences humaines. L’historien et directeur général de Matrice.io viendra ainsi partagerson analyse des technologies et de la donnée avec les industriels pharmaceutiques, pour mieux appréhender les évolutions en cours. 3 questions en guise d’illustration.

Pourquoi avoir accepté l’invitation de POLEPHARMA ?

Il est très intéressant selon moi de questionner le monde économique, à fortiori industriel, en pleine évolution technologique, avec les outils des sciences humaines. L’analyse fine de la société permet aussi d’affiner les modèles économiques et les choix d’entreprises, pour ouvrir de nouveaux marchés dans le numérique.

Avez-vous des exemples concrets pour l’illustrer ?

Prenons l’exemple du Règlement sur la protection des données (RGPD) : l’entreprise peut l’appréhender comme une zone d’obligations réglementaires, mais aussi comme un avantage commercial et économique potentiel. Pour parvenir à cela, il faut arriver à transformer « une contrainte réglementaire » en une « une demande sociale » puissante, visant la protection de nos données personnelles. Il y a des moyens… mais pour cela, il faut saisir ce qui se passe dans la société.

Autre exemple dans la santé : si nous présentons le modèle Watson d’IBM comme uneformidable Intelligence Artificielle (IA) capable de synthétiser la littérature médicale plus que tout individu, et qui pourrait donc finir par remplacer le médecin, il y a peu de chances que l’innovation trouve un terrain favorable dans le corps médical. Si – en revanche – nous sommes capables de penser ce qui relève de la machine versus ce qui est propre à l’humain, et de les agencer l’un à l’autre, l’acceptation sociale sera bien meilleure. Libéré d’un certain nombre de tâches relevant des machines (notamment leur capacité à synthétiser), le médecin, à l’aune de sa compétence, pourra mieux faire son acte. Le mix humain machine est beaucoup plus compliqué qu’on ne le croit, mais il est possible. La question centrale est la suivante : comment bien placer la technologie pour garantir son acceptation sociale ?

Comment replacer l’enjeu humain dans l’Industrie du Futur ?

IA, robots et cobots, machines connectées et autonomes : voilà les principales tendances de ce que constituera, et constitue déjà pour certaines entreprises en pointe, l’usine du futur. Où est l’humain dans cela ? Si l’on regarde froidement les choses, on s’aperçoit que de moins en moins de travailleurs sont nécessaires dans le processus industriel de production… et de plus en plus sur de nouveaux métiers tout au long du parcours de soins pour accompagner les patients, « prendre soin » justement, créer des apprentissages sur la maladie, etc. Les laboratoires pharmaceutiques évoluent vers des « entreprises globales de santé » capables de gérer l’ensemble du parcours de soin, de la production des médicaments, jusqu’à la présence dans le système hospitalier et l’accompagnement en ambulatoire, ou le dialogue avec des communautés diverses.

Quelles opportunités pour les industriels ?

La bonne nouvelle est que l’évolution de ces fonctions devra permettre de détacher du personnel vers ce monde nouveau et ces nouvelles tâches. C’est une re-conceptualisation de la place, du rôle et des métiers de l’industrie, pour pouvoir répondre à une demande sociale nouvelle, faire évoluer son propre rôle, reconvertir ses effectifs, et potentiellement gagner des parts de marché. C’est cette vision globale je souhaite développer avec les industriels.

Quelles autres questions doivent-ils se poser ?

Nous avons parlé de notre regard sur la technologie. Il est pertinent également de s’interroger sur la manière dont la technologie nous voit. Prenons l’exemple de l’Intelligence Artificielle (IA). Ces technologies mathématiques – et que l’on considère trop souvent comme magiques – sont capables d’apprendre à l’aune d’entraînement et de capacité à calculer des récurrences et des proximités. Mais dans quelle mesure sommes-nous des individus moyens, c’est à dire issus d’une multitude de moyennes ? Est-ce pertinent quand « ma » maladie est toujours singulière ? Comment adapter cet apport indéniable de l’IA à une personne toujours spécifique ? Nous devons nous poser la question du fonctionnement « en vrai » de ces technologies.

Et qu’en est-il de la question des imaginaires sociaux ?

Cette réflexion suppose également de traiter les imaginaires de la technologie et ce qu’elle projette sur la société. La technologie est toujours située historiquement et dans une correspondance avec notre lecture de la société. Je m’arrêterai notamment sur le cas de Pasteur et du contexte hygiéniste de ses découvertes. Et si nous transposions cette problématique à aujourd’hui : quels sont nos imaginaires sociaux ? Comment est-on disposé – avec nos grilles de lecture – à penser la société et imaginer les innovations qui vont pouvoir en découler ? Autant de questions à aborder avec force détails, en interrogeant l’histoire.

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